On lit dans votre biographie que vous avez dirigé votre premier chœur à … 16 ans
Je chantais à l’époque dans une chorale paroissiale. J’étais flutiste et je connaissais bien le solfège. J’étais de fait le plus musicien de la bande et quand notre chef est parti, je l’ai remplacé. Je n’ai pas vraiment réalisé, je suis tombé dans la marmite comme Obélix dans la potion magique. Mais je ne pensais pas vraiment en faire mon métier.
Pouvez-vous nous parler de ce parcours atypique ?
Après mon bac, j’ai fait une école de commerce, et je me suis retrouvé dans différents postes à l’étranger en Allemagne, à Prague… Partout où je m’installais, je créais un chœur ou j’en reprenais un. J’ai travaillé dans le monde de l’entreprise jusqu’à 33 ans jusqu’au jour où je me suis dit : «ce n’est pas possible, ma vraie passion, c’est le chant choral ». En un week-end, j’ai démissionné et changé de vie. J’avais pourtant un poste assez haut placé de Directeur du business et du développement pour toute l’Europe, Pendant 5 ou 6 mois j’ai travaillé tout seul puis j’ai passé les concours de plusieurs conservatoires et j’ai été reçu. J’en ai choisi deux, celui de Paris et de Boulogne. Je voulais rattraper le temps perdu en menant de front deux enseignements.
J’ai obtenu mon DEM (Diplôme d’études Musicales) de direction de chœur et mon diplôme d’Etat. Puis, alors que j’étudiais encore, j’ai eu la chance de rencontrer Pierre Cao qui a formé des générations de chef de chœur à travers l’Europe. Il m’a recruté à la direction générale du chœur professionnel Arsys Bourgogne. Puis j’ai aussi dirigé les « Rencontres musicales de Vézelay » en Bourgogne, pendant dix ans. Elles existent toujours. Au départ de Pierre Cao d’Arsys, en 2015, c’était également pour moi le bon moment de m’en aller.
On vous retrouve à Aix en Provence avec un nouveau projet, Hysope.
Hysope est né de l’expérience capitalisée au fil des années, dans le développement d’Arsys mais aussi au sein du Rema (réseau européen de musique ancienne, association regroupant 60 festivals de plus de 20 pays) et de la Fevis (Fédération des ensembles vocaux et instrumentaux) regroupant plus d’une centaine d’ensembles musicaux professionnels dont j’ai été administrateur pendant dix ans. J’y ai rencontré des dizaines de chefs de chœurs, 3000 ou 4000 choristes… J’avais donc une idée assez précise de ce que je voulais créer. Et pourquoi Aix ? Parce que j’y suis né. J’avais envie d’y retourner. Dominique Bluzet, Directeur du Grand théâtre de Provence où Arsys s’était produit, a été séduit par le projet Hysope. Il m’a fait une confiance totale et a proposé d’inscrire Hysope, qui n’existait pas encore, dans sa programmation.
En quoi consiste Hysope ?
C’est un projet qui repose sur trois piliers : d’abord, un chœur professionnel abordant tout le répertoire choral sur cinq siècles de musique. Il n’y en a pas en région PACA, en dehors de Musicatreize de Roland Hayrabédian, un ensemble de 12 solistes qui fait un travail remarquable dans le répertoire très pointu de la création contemporaine, donc un projet très différent.
Ensuite un chœur symphonique, ouvert à tous, lecteurs ou pas, qui regroupe environ 80 chanteurs autour de programmes qui englobent des œuvres de La Renaissance au XXème siècle. Nous fonctionnons par « projets » et non pas en formation permanente, afin de ne pas « déshabiller » les chorales existantes dans la région.
Enfin un pilier pédagogique de formation de chefs de chœurs et de jeunes chanteurs. En dehors des cursus de conservatoire, il n’existe presque rien concernant la formation des chefs de chœurs amateurs. Je souhaitais aussi offrir une formation chorale à des élèves en classes de chant sortant des conservatoires. Ils y reçoivent, c’est vrai, un enseignement de qualité mais pour devenir soliste et ce n’est pas le même métier. Or, seule une minorité percera, alors qu’il existe des débouchés pour les choristes professionnels. La formation Hysope propose un atelier mensuel pour chefs de chœurs et des Mastersclass pour chefs et chanteurs dont la première s’est déroulée, en juillet dernier, dans le cadre des Chorégies d’Orange. En janvier, je vais monter un 4ème pilier, avec un chœur de chambre amateurs de haut niveau dont la trentaine de chanteurs sera recrutée sur auditions. Il y a déjà beaucoup d’inscrits.
Quelles sont pour vous les qualités d’un bon chef de chœur ?
Exigence, bienveillance, humour, esprit de partage et sincère modestie.
Le 22 décembre prochain, on pourra entendre Hysope à Aix en Provence
Oui à l‘Eglise Saint Jean de Malte. L’année dernière, nous avions donné un concert de chants profanes au Grand Théâtre de Provence. Pour notre programme sacré, j’ai fait le choix d’une église. Il s’agit d’œuvres en « miroirs », par exemple un « Ave Maria » baroque avec celui de Morten Lauridsen ou le « O Magnum Mysterium » de Victoria avec celui de Poulenc. Celles ci seront interprétées par notre chœur professionnel entrecoupées d’extraits de « l’Oratorio de Noël » de Bach chantés par les membres du Chœur Symphonique mélangés avec les chanteurs professionnels. Ils seront dispersés dans la salle afin de créer une bulle sonore qui enveloppera le public. J’aime l’idée de sortir de cadres trop classiques, pour aller vers une mise en espace sonore, à une interaction plus forte avec le public.
Quels sont vos projets ?
Le véritable enjeu aujourd’hui pour Hysope est de trouver des mécènes privés. Dans tous les secteurs culturels, les partenaires publics se désengagent. Jusqu’à aujourd’hui nous avons reçu des soutiens du laboratoire Biomérieux, et de la Fondation Bettencourt Schueller pour l’atelier de direction de chœur et l’académie d’été, mais pour continuer ce projet nous avons besoin de fonds importants. En Allemagne, dans les pays de l’Europe centrale où la chorale est une vraie tradition, ce financement des chœurs et de la musique en général, par les entreprises coule de source. Ce n’est pas le cas en France. Pourtant, il est important d’expliquer aux responsables de société qu’il y a beaucoup de points communs entre diriger un chœur et une entreprise en terme de synergies et de management du changement. Et chanter en chœur fait « faire ensemble », fait s’exprimer d’une seule et même voix et partager des émotions. Dans le monde d’aujourd’hui, ce sont des choses qui me paraissent de plus en plus vitales
Et si vous ne trouvez pas les fonds ?
Je ferai autre chose et j’irai, pourquoi pas, monter Hysope dans un autre pays. Nul n’est prophète en son pays et beaucoup de musiciens français ont dû s’expatrier. Mais je regretterais vraiment car cela répond à un besoin profond de ce territoire régional PACA
Le monde choral français doit encore évoluer ?
Chanter n’est pas une tradition française. Nous avons un grand retard par rapport à l’Allemagne ou aux pays d’Europe Centrale ou nordiques. On parle aujourd’hui de créer des chorales dans toutes les écoles, c’est bien mais faudrait-il encore que les instituteurs soient formés. Il y a un énorme travail à faire. D’autre part, en dehors des cursus de quelques conservatoires, il existe peu de filières de formations.
Je pratique le chant choral depuis 30 ans dans toutes ses dimensions. J’ai travaillé avec des enfants, des adolescents, des adultes, professionnels ou non, lecteurs ou pas, je pense bien maitriser tous les maillons de la chaine chorale et je me dis que tous ces maillons peuvent et doivent coopérer ensemble, c’est le sens du projet Hysope : que professionnels et amateurs construisent Ensemble l’excellence vocale de ce territoire régional et qu’Hysope en devienne l’un des ambassadeurs.